MÉMOIRE D'EAUX

Je montre à voir l’eau, l’eau des surfaces et des profondeurs, dans l’histoire, l’espace et le temps. Mes pièces sont des recueils d'instants éphémères imprenables transférés ainsi dans la durée.

PIÈCES 83 CM

Le rapprochement entre la nature du verre – mi-liquide et mi-solide- et celle de l’eau, m’a conduit à m’interroger d’une part sur leurs vibrations particulières, invisibles mais bien présentes, d’autre part sur la fascination et l’attraction qu’exercent sur nous cette matière et cet élément.
Tous ces mondes d’émotions que l’eau a traversés ou traverse, qui l’ont troublée, je les imagine et les transcris dans mes pièces. Je deviens son émissaire. Les matières naturelles comme le bois, la pierre ou la terre gardent visibles dans leur structure les traces des temps passés et en sont (de ce fait) les témoins. Les éléments comme l'air et le feu agissent dans le temps. Leurs composants peuvent être modifiés, mais ils ne conservent pas la marque visuelle ou tactile des faits et vies qu'ils ont croisés. Reste l'ambivalence entre l'eau et le feu. L’eau indispensable à la survie du vivant et le feu qui le transforme, sont les piliers de l'évolution. L'eau et le feu interrogent nos sens : le feu nous fascine par les couleurs de ses flammes, ses scintillements et ses crépitements ; l’eau nous hypnotise par sa mouvance, ses ruissellements, les variantes subtiles de ses nuances. L’eau par sa fluidité constante et le feu en mutation perpétuelle, échappent aussi au temps. L’eau contient dans ses molécules le souvenir de son passé. Elle traverse les époques, capte des instants, traverse des vies. Les vibrations qu'elle dégage témoignent de ce vécu. Elle accumule les sédiments, érode les roches et de ce fait efface peu à peu les traces des histoires dont elle a été témoin, ne laissant que le souvenir de son passage.

PIÈCES 113 CM

Quant au verre, assujetti au feu, il acquiert des propriétés tactiles à son contact. L’eau se rapproche du verre lorsqu'elle subit des températures basses qui la font changer de structure, mais cette qualité est éphémère. Le verre l'inscrit dans le durable. L'eau et le verre- un élément et une matière -très proches par leur aspect visuel dont la qualité première et originelle est la transparence façonnable. Le verre peut matérialiser l’eau en lui donnant une forme, un aspect, un toucher. L’eau recouvre 72 % de la surface de la terre, sous différentes formes : liquide, solide ou vapeur. L’eau qui me captive est l’eau liquide, celle des océans et des mers, des lacs et des marécages, des fleuves, rivières, canaux, ruisseaux et torrents mais aussi...biefs et fontaines. Celle qui circule, qui ruisselle, qui chante et qui vit. Celle qui semble toujours aller ailleurs. Elle est partout et parait toujours la même. Elle est intemporelle et semble immortelle. Ce côté immuable nous apaise. Mes choix se font à partir de lectures de livres, de discussions, de faits relatés dans des journaux, magazines ou reportages, de films vus ou aimés. Je m’en inspire. Je retranscris sous forme d’esquisses ou de croquis colorés puis j’imagine les formes et les matières. La transcription devient alors évidente. Tout comme un enregistrement qui donne à entendre l’instant furtif d’un concert, je fixe dans mes pièces ces instants d’histoires.

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Prises de vue photo des pièces : Agence La Clique à Bill.

Mémoires topographiques

Dominique Rousseau : plasticien.

Prendre, obstinément, patiemment, avec soin,  l'Empreinte du Monde comme pour défier le temps et l’obsolescence programmée de ce merveilleux grouillement végétal et animal dont on perçoit l’originelle présence autant que la fragilité : l’œuvre est ici non pas utile comme une collecte ou un recueil de données mais indispensable.

Les nervures de feuilles, les scories, les fibres, les pigments, les coquilles et squelettes, ces bouts de mémoire d’univers qui s’impriment dans la matière ou semblent nus dans le désert d’une trame polymorphe orchestrent un dialogue ; un dialogue secret dont nous sommes avides avec un monde silencieux et dispersé, inconnu, utopique. Pourtant, comme des morphèmes sur les parois des grottes préhistoriques, voilà que ces petits arrangements avec la forme font sens et signe, nous semblent familiers : un langage s’invente qui résonne tel une écriture de l’univers.

L’art prend ici la forme d’une archéobiologie du futur où explorations, gestes, matières, trésors perdus et retrouvés, action de l’eau, de l’air et de la presse fabriquent de drôles de parchemins à l’allure d’éternité.

L’entreprise est monastique (comme dit Kenneth White), consciente de son urgence et de son importance, de son ambition vertigineuse, mais elle ne peut alors que se fonder sur une profonde humilité. C’est ce qui la rend si précieuse, si sensible et sans aucun doute, unique.

Prises de vue photo des pièces : Agence La Clique à Bill.